vendredi 30 novembre 2012

L'enfant Océan, ou le nouveau Petit Poucet

MOURLEVAT Jean-Claude, L'enfant Océan, Bayard, coll. "Pocket Jeunesse".

Résumé

   Il était une fois sept garçons, âgés de dix à quatorze ans et allant par paire, sauf le dernier, qui venait clore cette fratrie comme on clôt une phrase par un point. Ces garçons vivaient dans une bien sâle ferme avec leurs bien pauvres parents.
    Le plus jeune de ces septs enfants, Yann, n'avait pas été gâté par la nature. En effet, en plus d'être muet, il était d'une anormalement petite pour un enfant d'une dizaine d'années. Il était cependant de loin le plus intelligent de la fratrie.
    Une nuit froide de novembre, il surprend une conversation entre ses parents et réveille ses frères en catastrophe: il faut fuir! S'ensuite une longue épopée qui doit mener ces sept frères à un endroit précis: l'Océan.
    Tel est le thème de ce conte moderne que nous découvrons à travers le récit des différents protagonistes de l'histoire.

D'un conte à l'autre

    Comme il nous l'indique d'emblée par la citation précédant la première partie du livre et extraite du Petit Poucet, Jean-Claude MOURLEVAT s'est librement inspiré de ce conte de Charles Perrault pour conter cette histoire.
    L'enfant Océan peut en effet être perçu comme une version moderne du Petit Poucet, excepté le fait que le récit ne se présente pas de prime abord sous la forme d'un conte.
    Ainsi, point de "Il était une fois" comme formule d'ouverture ni de "Ils vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfant" en tant que chute. La chute en elle-même ne se rapproche pas trop des caractéristiques des contes.
    De même, nous ne sommes pas à proprement parlé dans l'univers du merveilleux, autre caractéristque des contes, car le récit est vraisemblable, tout peut s'expliquer par la logique.
   De plus, l'histoire ne se situe pas dans un passé imprécis, bien que l'époque à laquelle se déroule l'histoire n'est pas précisée explicitement. Mais des indices permettent au lecteur attentif de comprendre que l'histoire prend place dans notre époque actuelle.
    Par contre, d'autres caractéristiques importantes des contes sont présentes, soit expicitement, soit implicitement. C'est notamment le cas en ce qui concerne le schéma narratif propre à ce genre de littérature.
    Pour illustrer mes propos, voici une illustration de ce que pourrait être le schéma naratif de L'enfant Océan.
    La situation initiale est présentée ici dans les trois premiers chapitres du livre. C'est au cours de ces chapitres que les personnages principaux sont présentés et leurs relations expliquées. Le décor est planté, le contexte explicité.
    Ensuite survient, au quatrième chapitre, l'élément perturbateur: Yann entend une conversation entre ses parents et comprend qu'il doit fuir avec ses frères.
    Les chapitres cinq à quinze composent ce qu'on appelle les séquences, ou encore les péripéties, c'es-à-dire les actions entreprises par le héros pour atteindre son objectif. Ces actions découlent généralement d'un état de déséquilibre chez le héros survenu suite à l'élément perturbateur. Ici, on peut plutôt qualifier cet état de déséquilibre de malentendu, car le héros n'interprète pas correctement la discussion qu'il entend. 
    Enfin, la situation finale, où tout rentre dans l'odre, ou presque, survient à la fin du quinzième chapitre et fait l'objet des trois derniers chapitres du livre.
    Le schéma actanciel, ou plutôt les fonctions principales des contes, sont également représentées dans cette sorte de conte moderne.
    En effet, on retrouve dans le rôle du héros Yann, qui présente les deux caractéristiques principales des héros des contes: de petite taille mais d'une intelligence supérieure à la moyenne. À nouveau, on ne peut que faire le lien avec Le Petit Poucet.
    Ce héros poursuit un but, appelé dans le langage des contes "objet", qui est ici atteindre l'Océan.
    Les destinataires de cet objet sont Yann et ses frères, comme le sont le Petit Poucet et ses frères dans le conte éponyme de Charles Perrault. On retrouve comme destinateur le même souci que celui qui anime le Petit Poucet, autrement dit prendre soin de ses frères.
    Les adjuvants sont également représentés dans ce récit, comme par exemple le chauffeur de camion qui les prend en stop au début de leur épopée. Il en va de même pour les opposants, joués ici par l'industriel Mr. Faivre et son homme de confiance, Thierry Viard, chômeur de son état.
    Ainsi, malgré l'absence de merveilleux et le contexte actuel dans lequel s'insère le récit, Jean-Claude MOURLEVAT a fait de ce livre, L'enfant Océan, une adaptation personnelle, moderne et touchante du conte connu et reconnu de Charles Perrault.
    Je dis personnelle car l'auteur a intégré une dimension qui n'est pas présente, ou très peu, dans Le Petit Poucet: l'amour entre frères (et soeurs), et c'est cela qui fait de L'enfant Océan un conte merveilleux, tendre et émouvant.

    Si j'étais professeur de français...

   Si j'étais professeur de français (bientôt, bientôt...), j'utiliserais certainement ce livre dans une séquence consacrée aux contes.
   Je pense que j'amènerais ce livre à la fin de la séquence pour établir une comparaison entre ce livre et Le Petit Poucet, de Charles Perrault, ainsi que pour donner un exemple de ce qu'est une adaptation moderne d'un conte.
    Il me semble qu'un atelier de lecture autour de ce livre pourrait être envisagé, de manière à dégager petit à petit, chapitre par chapitre, une comparaison comme celle que j'ai réalisée ci-dessus.
    Si je devais donner une telle leçon, je procèderai sûrement de cette manière, en demandant aux élèves de se procurer le livre et de l'apporter en classe afin de réaliser ce travail de manière collective.
    Je pense de plus que je créerais des groupes de travail ayant chacun un thème précis à analyser, car cela mettrait en place un conflit socio-cognitif et permettrait l'élaboration d'une comparaison collective, dans laquelle chacun aurait eu son mot à dire.
   Bien entendu, la mise en place d'un tel dispositif dépend de la classe à laquelle il doit s'appliquer et des moyens à la disposition du professeur, mais si ces différents paramètres sont réunis de manière positive, je pense que cette méthode pourrait se révéler intéressante.
    À tester!

jeudi 29 novembre 2012

L'affaire Jennifer Jones VS À la brocante du coeur



CORMIER Robert, À la brocante du coeur, L'Ecole des Loisirs, coll. "Médium", 2002, 153p.
 
                                            


CASSIDY Anne, L'affaire Jennifer Jones, Milan, coll. "Macadam", 2006, 313p.


Après avoir lu ces deux livres, presque à la suite l'un de l'autre, il m'est apparu qu'ils traîtaient tous les deux d'un sujet semblable et qu'il serait donc intéressant de les comparer. C'est ce que je vais m'atteler à faire dans cet article.
    Mais tout d'abord, il me semble que le deuxième livre dont il est question n'ayant pas encore été présenté, un petit résumé s'impose


    À Monument, ville des Etats Unis, un crime vient d'être commis. La population de cette bourgade tranquille est bouleversée, d'autant plus que la victime est une petite fille de sept ans, Alicia Bartlett. Pour contenter l'opinion publique et apaiser la population, un coupable doit être appréhendé rapidement.
   Aux yeux de la police, ce coupable est tout désigné et n'est autre que Jason Dorrant, jeune garçon d'une douzaine d'années qui apparaît comme un marginal aux yeux de tous car pas très sociable et aimant la compagnie d'Alicia, beaucoup plus jeune que lui. Seul problème: Jason ne reconnaît pas les faits.
   Il faut donc faire appel à Trent, expert en interrogatoires et capable de faire avouer à n'importe qui le plus horrible crime, même quand le suspect est un petit garçon timide, affecté par la perte d'une personne qu'il appréciait et soucieux d'aider ce monsieur qui veut retrouver le coupable et qui sollicite son témoignange pour résoudre l'enquête.


  Voici donc la trame de ce très beau livre qu'est À la brocante du coeur.
   Pour m'assurer que ma comparaison soit claire et compréhensible, je vais également résumer en quelques lignes l'autre livre dont il sera question, L'Affaire Jennifer Jones.


   Alice Tully a dix-sept ans, un boulot de serveuse et un petit ami qui la protège.
   Mais Alice a également un secret, un secret très lourd qu'elle ne peut partager avec personne: elle a commis un acte très grave lorsqu'elle avait dix, le genre d'acte qui vous suit toute une vie, coûte que coûte, comme un fardeau que l'on ne peut déposer.
   Lorsqu'Alice avait dix ans, trois petites filles sont allées se promener près d'un lac aux alentours de Berwick Waters, village de l'Angleterre moyenne, mais seulement deux de ces petites filles sont revenues de la promenade.


   Le sujet choisi par les auteurs pour leur livre respectif est donc un fait divers tragique, horrible: le meurtre d'une enfant de moins de dix ans. Bien entendu, il ne s'agit pas du même fait divers dans les deux cas, et  chaque auteur va choisir d'exploiter ce thème d'une manière différente, ce qui va donner lieu à deux récits de prime abord semblables mais adoptant des points de vues et des déroulements de l'histoire divergeants. Tous les deux se focalisent sur le coupable ou présumé coupable, mais adoptent un point de vue totalement différent quant au destin de ce personnage principal.
    D'emblée, Anne CASSIDY réduit le suspense, le mystère instauré par le résumé de la quatrième de couverture en choisissant de baser son récit sur la vie du coupable après le meurtre, et principalement sur sa réinsertion sociale. Elle nous fait donc découvrir dès les premiers chapitres la vraie coupable et nous la présente comme une personne comme les autres, qui a droit, comme tout adolescente, à avoir un petit ami, à poursuivre des études, à avoir un job d'étudiant... Le seul suspense entretenu par l'auteur pour nous tenir en haleine, c'est le comment et le pourquoi du meurtre.
   Robert CORMIER, lui, en se focalisant sur l'enquête autour d'un présumé coupable, entretient le suspens jusqu'à la toute fin du livre. En effet, si la découverte du meurtre survient dans les premiers chapitres (au troisième, précisément), le véritable coupable n'est démasqué qu'à la toute fin du dernier chapitre.
  Voici donc la première différence entre les deux récits: dans le premier, le coupable est donné d'office, il n'y a donc plus le suspense de l'enquête et de la récolte d'indices jusqu'à la découverte du coupable, tandis que dans le deuxième, ce suspenses est entretenu du début à la fin, ce qui rend la lecture beaucoup plus attrayante: on ne peut pas lâcher le livre avant de savoir ce qu'il va advenir du pauvre petit Jason.
    La deuxième grande différence repose sur la psychologie des personnages. Il en est question dans les deux ouvrages, mais Robert Cormier va beaucoup plus loin dans ce thème qu'Anne Cassidy.
   En effet, si cette dernière aborde la psychologie de l'héroïne, ce n'est que pour nous la rendre sympathique, moins cruelle et pour nous expliquer en quelque sorte son crime, pour nous amener à ressentir de la compassion pour la coupable.
   Ainsi, Anne Cassidy explore la psychologie de Jennifer par le biais de la relation avec sa mère, qui, il est vrai, était très instable et n'était absolument pas à la hauteur de son rôle de mère. Cette relation a bien évidemment perturbé l'équilibre psychique de la fillette tout au long de son enfance, surtout vu l'absence de présence masculine dans le cercle familial.
   En abordant cette relation plus que néfaste et en nous montrant combien Jennifer adorait sa mère malgré tout ce qu'elle lui a fait subir, l'auteur nous donne des réponses au pourquoi du meurtre et tente d'expliquer, de mettre en lumière ce qui a conduit la petite Jennifer à faire ce qu'elle a fait, c'est-à-dire tuer une autre fillette de son âge. Cette analyse psychologique est certes pertinente dans un tel récit, mais elle aurait mérité d'être un peu plus poussée, recherchée, fouillée. Au lieu de cela, Anne Cassidy reste trop en surface, d'après moi, et ne se focalise principalement que sur l'époque du meutre et celle qui l'a précédée, c'est-à-dire la petite enfance de l'héroïne, or il aurait été intéressant de décortiquer ce thème à l'époque "actuelle" du livre, lorsque la coupable essaie de retrouver une vie normale à l'insu de tous.
    Robert Cormier, pour sa part, ne se focalise pas sur un personnage et un moment en particulier, mais nous livre une analyse psychologique de ce qu'est un interrogatoire d'un présumé coupable, et qui plus est d'un enfant, personnage très impressionnable et corvéable à merci.
   L'auteur de À la brocante du coeur va beaucoup plus loin dans le thème de la psychologie en nous dévoilant les arcanes d'un interrogatoire, les pièges tendus à l'interrogé pour le pousser à avouer un crime qu'il n'a peut-être même pas commis. Nous avons ainsi accès à une dimension des romans policiers rarement abordée et pourtant très intéressante: les méthodes d'interrogatoire.
   Ici, nous les découvrons par la pensée de celui qui mène l'interrogatoire, Trent. En effet, plutôt que de nous faire rentrer dans la tête de Jason, le pauvre gamin accusé injustement du meurtre, l'auteur nous fait entrer dans la tête de celui qui est chargé de faire avouer Jason, et nous avons donc accès au récit via les pensées, la vision de Trent. Cela rend le récit encore plus prenant, car c'est comme si nous suivions les pensées, le raisonnement de Trent en même temps que lui, ce qui permet de nous rendre compte de manière pour ainsi dire vivante des méthodes d'interrogatoire. 
    Robert Cormier nous montre clairement dans ce livre qu'un interrogatoire n'est autre qu'un édifiant jeux de logique et de manipulation et que même avec aucun élément crédible, véridique, aucune preuve tangible, il est possible, grâce à la psychologie et la "logique" de la rhétorique, de faire avouer n'importe quel crime à n'importe qui. Et cela fait froid dans le dos!
    Qui plus est, grâce à cela, l'auteur nous rend le présumé coupable baucoup plus sympathique que celui qui mène l'interrogatoire, qui nous apparaît comme un être sans coeur, sans compassion, aveuglé par son jeu de logique et obnubilé par la volonté de faire avouer la personne en face de lui, sans tenir compte du fait que ce n'est qu'un gamin de douze ans.
    Ainsi, Robert Cormier atteint plus son but qu'Anne Cassidy, qui n'est pas totalement parvenue à me faire compatir au sort de son héroïne. Tandis que dans À la brocante du coeur, plus on avance dans la lecture du récit, plus on est pris de compassion pour le jeune Jason et on espère de tout notre coeur que quelqu'un finira par se rendre compte qu'il n'a rien fait et qu'il faut le sortir de là, qu'il faut l'arracher des mains de l'horrible Trent. 
   Pour conclure, si je n'avais qu'un conseil à donner: lisez, si vous en avez l'occasion, À la brocante du coeur, mais ne vous jetez pas spécialement sur L'Affaire Jennifer Jones. Je pense que vous ne resortirez pas indemne de la lecture du dernier livre publié par cet écrivain trop tôt disparu. Vous ne regarderez plus les "Esprits criminels" et autres séries américaines de la même façon! ;)



 

jeudi 15 novembre 2012

L'Affaire Jennifer Jones, quelle affaire!




CASSIDY Anne, L'Affaire Jennifer Jones, Milan, coll. "Macadam", 2006, 313 pages
    


 Eh bien, moi qui pensait que j'allais publier un message dithyrambique sur ce livre tellement la couverture et le résumé m'emballaient, j'en suis pour mes frais!
   Car au lieu d'être LE coup de coeur de notre cours de littérature de jeunesse cette année, ce livre d'Anne Cassidy se révèle plutôt une grosse déception...
   Pourtant, je vous assure que j'ai tenu bon, page après page, en me répétant qu'il fallait que je sois patiente et que quelque chose d'inattendu allait se passer, mais j'ai refermé ce livre en attendant toujours que ce quelque chose qui viendrait rendre unique ce livre arrive...
   Et croyez-moi, il m'en coûte de tirer cette conclusion, mais il faut dire ce qui est: je n'ai pas compris le but poursuivi par l'auteur, le pourquoi du comment, et je reste avec de nombreuses questions sans réponse. Je suis complètement passée à côté du livre, ou bien c'est le livre qui est passé à côté de  moi, je ne sais pas... En tout cas, il n'y a pas eu la rencontre littéraire que j'escomptais, et j'en suis déçue.
   Cependant, je pense pouvoir attribuer cette déception au fait qu'à la lecture du résumé, je m'étais fait une représentation préalable de l'histoire, et cette représentation ne correspondait pas à ce qu'il se passe effectivement dans le livre.
    Je n'en dirai pas plus pour ne rien dévoiler à ceux qui ne l'auraient pas encore lu, mais j'aurai une demande à faire à ceux qui ont lu, compris et dès lors certainement plus apprécié que moi L'Affaire Jennifer Jones: aidez-moi à trouver la clé de lecture, à éclairer ma lanterne! Je ne demande qu'à le relire à la lumière de vos explications et qui sait, peut-être qu'après une deuxième lecture, je l'apprécierai à sa juste valeur...