jeudi 29 novembre 2012

L'affaire Jennifer Jones VS À la brocante du coeur



CORMIER Robert, À la brocante du coeur, L'Ecole des Loisirs, coll. "Médium", 2002, 153p.
 
                                            


CASSIDY Anne, L'affaire Jennifer Jones, Milan, coll. "Macadam", 2006, 313p.


Après avoir lu ces deux livres, presque à la suite l'un de l'autre, il m'est apparu qu'ils traîtaient tous les deux d'un sujet semblable et qu'il serait donc intéressant de les comparer. C'est ce que je vais m'atteler à faire dans cet article.
    Mais tout d'abord, il me semble que le deuxième livre dont il est question n'ayant pas encore été présenté, un petit résumé s'impose


    À Monument, ville des Etats Unis, un crime vient d'être commis. La population de cette bourgade tranquille est bouleversée, d'autant plus que la victime est une petite fille de sept ans, Alicia Bartlett. Pour contenter l'opinion publique et apaiser la population, un coupable doit être appréhendé rapidement.
   Aux yeux de la police, ce coupable est tout désigné et n'est autre que Jason Dorrant, jeune garçon d'une douzaine d'années qui apparaît comme un marginal aux yeux de tous car pas très sociable et aimant la compagnie d'Alicia, beaucoup plus jeune que lui. Seul problème: Jason ne reconnaît pas les faits.
   Il faut donc faire appel à Trent, expert en interrogatoires et capable de faire avouer à n'importe qui le plus horrible crime, même quand le suspect est un petit garçon timide, affecté par la perte d'une personne qu'il appréciait et soucieux d'aider ce monsieur qui veut retrouver le coupable et qui sollicite son témoignange pour résoudre l'enquête.


  Voici donc la trame de ce très beau livre qu'est À la brocante du coeur.
   Pour m'assurer que ma comparaison soit claire et compréhensible, je vais également résumer en quelques lignes l'autre livre dont il sera question, L'Affaire Jennifer Jones.


   Alice Tully a dix-sept ans, un boulot de serveuse et un petit ami qui la protège.
   Mais Alice a également un secret, un secret très lourd qu'elle ne peut partager avec personne: elle a commis un acte très grave lorsqu'elle avait dix, le genre d'acte qui vous suit toute une vie, coûte que coûte, comme un fardeau que l'on ne peut déposer.
   Lorsqu'Alice avait dix ans, trois petites filles sont allées se promener près d'un lac aux alentours de Berwick Waters, village de l'Angleterre moyenne, mais seulement deux de ces petites filles sont revenues de la promenade.


   Le sujet choisi par les auteurs pour leur livre respectif est donc un fait divers tragique, horrible: le meurtre d'une enfant de moins de dix ans. Bien entendu, il ne s'agit pas du même fait divers dans les deux cas, et  chaque auteur va choisir d'exploiter ce thème d'une manière différente, ce qui va donner lieu à deux récits de prime abord semblables mais adoptant des points de vues et des déroulements de l'histoire divergeants. Tous les deux se focalisent sur le coupable ou présumé coupable, mais adoptent un point de vue totalement différent quant au destin de ce personnage principal.
    D'emblée, Anne CASSIDY réduit le suspense, le mystère instauré par le résumé de la quatrième de couverture en choisissant de baser son récit sur la vie du coupable après le meurtre, et principalement sur sa réinsertion sociale. Elle nous fait donc découvrir dès les premiers chapitres la vraie coupable et nous la présente comme une personne comme les autres, qui a droit, comme tout adolescente, à avoir un petit ami, à poursuivre des études, à avoir un job d'étudiant... Le seul suspense entretenu par l'auteur pour nous tenir en haleine, c'est le comment et le pourquoi du meurtre.
   Robert CORMIER, lui, en se focalisant sur l'enquête autour d'un présumé coupable, entretient le suspens jusqu'à la toute fin du livre. En effet, si la découverte du meurtre survient dans les premiers chapitres (au troisième, précisément), le véritable coupable n'est démasqué qu'à la toute fin du dernier chapitre.
  Voici donc la première différence entre les deux récits: dans le premier, le coupable est donné d'office, il n'y a donc plus le suspense de l'enquête et de la récolte d'indices jusqu'à la découverte du coupable, tandis que dans le deuxième, ce suspenses est entretenu du début à la fin, ce qui rend la lecture beaucoup plus attrayante: on ne peut pas lâcher le livre avant de savoir ce qu'il va advenir du pauvre petit Jason.
    La deuxième grande différence repose sur la psychologie des personnages. Il en est question dans les deux ouvrages, mais Robert Cormier va beaucoup plus loin dans ce thème qu'Anne Cassidy.
   En effet, si cette dernière aborde la psychologie de l'héroïne, ce n'est que pour nous la rendre sympathique, moins cruelle et pour nous expliquer en quelque sorte son crime, pour nous amener à ressentir de la compassion pour la coupable.
   Ainsi, Anne Cassidy explore la psychologie de Jennifer par le biais de la relation avec sa mère, qui, il est vrai, était très instable et n'était absolument pas à la hauteur de son rôle de mère. Cette relation a bien évidemment perturbé l'équilibre psychique de la fillette tout au long de son enfance, surtout vu l'absence de présence masculine dans le cercle familial.
   En abordant cette relation plus que néfaste et en nous montrant combien Jennifer adorait sa mère malgré tout ce qu'elle lui a fait subir, l'auteur nous donne des réponses au pourquoi du meurtre et tente d'expliquer, de mettre en lumière ce qui a conduit la petite Jennifer à faire ce qu'elle a fait, c'est-à-dire tuer une autre fillette de son âge. Cette analyse psychologique est certes pertinente dans un tel récit, mais elle aurait mérité d'être un peu plus poussée, recherchée, fouillée. Au lieu de cela, Anne Cassidy reste trop en surface, d'après moi, et ne se focalise principalement que sur l'époque du meutre et celle qui l'a précédée, c'est-à-dire la petite enfance de l'héroïne, or il aurait été intéressant de décortiquer ce thème à l'époque "actuelle" du livre, lorsque la coupable essaie de retrouver une vie normale à l'insu de tous.
    Robert Cormier, pour sa part, ne se focalise pas sur un personnage et un moment en particulier, mais nous livre une analyse psychologique de ce qu'est un interrogatoire d'un présumé coupable, et qui plus est d'un enfant, personnage très impressionnable et corvéable à merci.
   L'auteur de À la brocante du coeur va beaucoup plus loin dans le thème de la psychologie en nous dévoilant les arcanes d'un interrogatoire, les pièges tendus à l'interrogé pour le pousser à avouer un crime qu'il n'a peut-être même pas commis. Nous avons ainsi accès à une dimension des romans policiers rarement abordée et pourtant très intéressante: les méthodes d'interrogatoire.
   Ici, nous les découvrons par la pensée de celui qui mène l'interrogatoire, Trent. En effet, plutôt que de nous faire rentrer dans la tête de Jason, le pauvre gamin accusé injustement du meurtre, l'auteur nous fait entrer dans la tête de celui qui est chargé de faire avouer Jason, et nous avons donc accès au récit via les pensées, la vision de Trent. Cela rend le récit encore plus prenant, car c'est comme si nous suivions les pensées, le raisonnement de Trent en même temps que lui, ce qui permet de nous rendre compte de manière pour ainsi dire vivante des méthodes d'interrogatoire. 
    Robert Cormier nous montre clairement dans ce livre qu'un interrogatoire n'est autre qu'un édifiant jeux de logique et de manipulation et que même avec aucun élément crédible, véridique, aucune preuve tangible, il est possible, grâce à la psychologie et la "logique" de la rhétorique, de faire avouer n'importe quel crime à n'importe qui. Et cela fait froid dans le dos!
    Qui plus est, grâce à cela, l'auteur nous rend le présumé coupable baucoup plus sympathique que celui qui mène l'interrogatoire, qui nous apparaît comme un être sans coeur, sans compassion, aveuglé par son jeu de logique et obnubilé par la volonté de faire avouer la personne en face de lui, sans tenir compte du fait que ce n'est qu'un gamin de douze ans.
    Ainsi, Robert Cormier atteint plus son but qu'Anne Cassidy, qui n'est pas totalement parvenue à me faire compatir au sort de son héroïne. Tandis que dans À la brocante du coeur, plus on avance dans la lecture du récit, plus on est pris de compassion pour le jeune Jason et on espère de tout notre coeur que quelqu'un finira par se rendre compte qu'il n'a rien fait et qu'il faut le sortir de là, qu'il faut l'arracher des mains de l'horrible Trent. 
   Pour conclure, si je n'avais qu'un conseil à donner: lisez, si vous en avez l'occasion, À la brocante du coeur, mais ne vous jetez pas spécialement sur L'Affaire Jennifer Jones. Je pense que vous ne resortirez pas indemne de la lecture du dernier livre publié par cet écrivain trop tôt disparu. Vous ne regarderez plus les "Esprits criminels" et autres séries américaines de la même façon! ;)



 

1 commentaire:

  1. Analyse et comparaison fines et structurées : B ! Cela dit, tu omets un petit détail, Jason est effectivement innocent, alors qu'Alice est coupable... deux positions opposées, mais qui peuvent s'analyser comme telles : l'un deviendra (peut-être ?) un meurtrier et l'autre tente de se racheter...
    Bravo pour l"idée !

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